Par une décision du 16 décembre 2022, publiée au Recueil, le Conseil d’Etat est revenu sur les principes régissant sa jurisprudence relative à l’indemnité accordée au cocontractant de l’administration en cas de résiliation amiable du contrat.
Dans cette affaire, il s’agissait de la résiliation d’un bail emphytéotique conclu pour une durée de 60 ans sur une parcelle relevant du domaine privé. Ce bail avait vocation à permettre à l’emphytéote de construire et exploiter un village de vacances.
Alors que le bail devait encore courir pendant 10 ans, le conseil municipal de Grasse a autorisé son maire à le résilier de manière amiable et anticipée, en contrepartie du versement d’une indemnité de résiliation de 1 700 000 euros à son cocontractant.
Plusieurs élus de l’opposition ont saisi le juge administratif d’une requête en annulation de cette délibération, arguant du caractère disproportionné de cette indemnité de résiliation.
La cour administrative d’appel de Marseille, saisie du litige, a accueilli ce moyen et prononcé l’annulation de cette délibération. La ville s’est alors pourvue devant le Conseil d’Etat.
Par le passé, le Conseil d’Etat avait déjà retenu qu’une indemnité de résiliation d’un contrat conclu avec une personne publique ne devait pas être « manifestement disproportionnée au préjudice subi » en application du principe d’interdiction des libéralités consenties par les personnes publiques (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, n° 334280 ; CE, 19 mars 1971, Sieurs Mergui, n° 79962).
Cette fois, le Conseil d’Etat décide d’aller plus loin en consacrant un nouveau considérant de principe nettement plus restrictif pour les personnes publiques :
2. Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat.
Selon les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public sur cette décision, cette nouvelle formulation permet au Conseil d’Etat de s’aligner sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel fondée sur l’exigence de bon emploi des deniers publics et le principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, plus restrictive que l’ancienne rédaction adoptée par le Conseil d’Etat (Cons. const., Décision n° 2010–624 DC du 20 janvier 2011, Loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel).
Le Conseil d’Etat abandonne ainsi la référence au préjudice « manifestement disproportionné » qui laissait une plus grande marge de manœuvre aux acheteurs publics dans le cadre de la résiliation amiable du contrat.
Pour autant, le Conseil d’Etat se montre moins sévère que la cour administrative d’appel de Marseille en retenant que cette dernière a commis une erreur de droit en refusant de retenir la valeur locative du terrain afin d’apprécier le caractère disproportionné de l’indemnité en cause.
L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Marseille pour l’appréciation du caractère proportionné ou non de l’indemnité de résiliation qui ne doit pas excéder le préjudice subi au détriment des deniers publics.
Cette nouvelle décision vient clairement renforcer le contrôle du juge sur le montant des indemnités versées dans le cadre particulier d’une résiliation amiable du contrat.
L’essentiel à retenir :
- cette nouvelle jurisprudence pourrait réduire la marge de manœuvre dont disposaient les personnes publiques pour mettre fin de manière anticipée à un contrat sans qu’un motif d’intérêt général ou une faute du titulaire puisse être invoqué ;
- les acteurs publics et privés devront agir de concert afin de justifier, en amont de la décision de résiliation, le montant de l’indemnité retenue de manière amiable afin de diminuer le risque contentieux en cas de recours initiés par des tiers notamment.